C'est un coelacanthe. Ce 'fossile vivant' serait vieux de 400 millions d'années! Au début du siècle, on pensait qu'il avait disparu avec les dinosaures, mais on a découvert en 1938 qu'il avait survécu et qu'il existait toujours dans l'archipel des Comores quelques centaines d'individus vivants quasiment semblables à leurs ancêtres du Dévonien. En 1998, une nouvelle population de coelacanthes a été découverte en Indonésie, dans l'archipel des Sulawezi.
Mais la survie de ce poisson est loin d'être évidente, et il se pourrait fort bien que, victime des pêcheurs qui le capturent involontairement, il disparaisse à nouveau, mais cette fois-ci définitivement.
Le symbole biologique de l'endurance
La république des Comores, un petit archipel de trois îles dans l'océan indien, est connue pour son instabilité.
Instabilité politique d'abord : en 22 ans d'indépendance, elle a déjà connu 18 coups d'états ou tentatives de coups d'états. Deux des trois îles de la république ont récemment fait sécession et le gouvernement a été dissous.
Instabilité sysmique également : le mont Karthala, sur l'île de Grande Comore, est l'un des volcans actifs les plus importants du monde et entre en éruption tous les 20 ans environ. Sa dernière éruption date de 1975 et il est donc probable qu'une nouvelle éruption survienne bientôt.
Mais au fond de l'océan, sur la côte ouest de Grande Comore, dans le froid des canyons, des surplombs et des crevasses qui s'enfoncent profondément dans l'obscurité, on a découvert la contradiction vivante du chaos règnant en surface, le symbole biologique de l'endurance.
La découverte du coelacanthe.
En 1938, Marjorie Courtenay Latimer était conservateur d'un petit musée dans la ville portuaire de East London, au nord-est de Cape Town, en Afrique du Sud. Elle s'était liée d'amitié avec un marin du coin, le capitaine Hendrick Goosen, qui pêchait dans les eaux côtières de l'Océan Indien. Lorsqu'il revenait à terre, il invitait souvent Marjorie à jeter un coup d'oeil aux spécimens particuliers qu'elle pourrait vouloir pour son musée.
Le 23 décembre 1938, rentrant au port après avoir pêché près de l'estuaire de la rivière Chalumna, le capitaine appella Marjorie. Elle découvrit alors quelque chose qu'elle décrivit ensuite comme 'le plus beau poisson qu'elle avait jamais vu, long d'un mètre cinquante, et d'un bleu iridescent tacheté d'argent'. Marjorie n'avait aucune idée de ce que ce poisson pouvait être, mais elle savait qu'elle devait le ramener au musée.
Après avoir parcouru quelques livres de références, elle trouva une image qui la conduisit à une conclusion qui paraissait impossible. Son spécimen partageait de nombreuses similitudes avec un poisson préhistorique. Elle prit alors une esquisse du poisson qu'elle envoya au professeur J.L.B. Smith, un éminent ichtyologue sud-africain.
Smith vint rapidement et voyant le spécimen s'exclama : "J'ai toujours su que d'une façon ou d'une autre un tel poisson primitif devait apparaître quelque part." Smith identifia immédiatement le poisson comme un coelacanthe. Le poisson devint rapidement 'la plus importante découverte zoologique du siècle". Un dinosaure vivant, disait-on alors, ne serait pas plus fantastique que cette incroyable découverte.
Il offrit une récompense de 100 livres pour un autre spécimen, mais ses efforts ne furent couronnés de succès qu'en 1952, lorsqu'un second coelacanthe fut pris à proximité de l'île d'Anjouan dans l'archipel des Comores. Comme il n'y avait pas de vols commerciaux verts les Comores, il utilisa un Dakota de l'armée sud-africaine pour ramener le poisson.
Un nombre de plus en plus important de poissons furent pris jusque dans les années 80 et envoyés à des aquariums et à des musées pour les étudier. Les scientifiques se rendirent cependant compte que par leur course pour obtenir des spécimens à étudier, ils mettaient l'espèce en danger.
Leur capture par les pêcheurs n'est pas volontaire. La cible de l'industrie traditionnelle de pêche des Comores est le ruvettus pretiosus , ou Rouvet ('oilfish'), qui partage avec le coelacanthe le même habitat dans les eaux profondes près de la côte, qui nage aux mêmes profondeurs et chasse les mêmes proies. Avant que la science occidentale n'attire l'attention des pêcheurs sur la valeur du coelacanthe, ils le considéraient comme une nuisance. Au mieux, ils le laissaient repartir. Mais comme le coelacanthe a une machoire impressionnante et des rangées de petites dents très acérées, et que les lignes coûtent cher, le comportement le plus typique était d'achever le poisson et de récupérer l'hameçon avant de rejeter l'animal.
Il y eu une chute dans le nombre des coelacanthes capturés dans les années 80, due à un effet secondaire des efforts internationaux pour aider les comoriens à développer leur industrie de la pêche : la communauté européenne et le Japon ont financé la construction de structures flottantes ('fish aggregation devices') destinées à attirer les espèces commerciales de poissons dans de nouvelles zones de pêche situées au large, loin des eaux sur-pêchées à proximité des côtes. Comme ces zones étaient hors de portée des embarcations classiques, ils financèrent également l'achat de bateaux et de moteurs.
Puis, le projet se termina. Les moteurs tombèrent en panne et personne n'était capable de les remettre en état. Les pêcheurs reprirent donc leurs anciennes embarcations et recommencèrent à pêcher dans les eaux côtières. Ils attrapèrent à nouveau des coelacanthes et leur population commença son déclin qui continue de nos jours. Les scientifiques pensent également que la pêche intensive prive les coelacanthes de leurs proies, ce qui explique également ce déclin. Enfin, un taux élevé d'insecticides a été observé dans les tissus des animaux capturés. On pense que les toxines auraient voyagé par air depuis le continent africain.
En danger d'extinction
Il y a 400 millions d'années, il y avaient de nombreuses espèces de coelacanthes : les fossiles découverts ont permis d'identifier 125 espèces de coelacanthes.
La petite population vivant dans les profondeurs des Comores ne regroupe plus que quelques centaines de poissons. Le biologiste marin Hans Fricke et ses collègues de l'institut Max Planck en Allemagne, ont suivi cette petite population comorienne pendant dix ans, et ont étudié ces coelacanthes à l'aide d'un petit sous-marin. Ils ont identifié individuellement plus de cent individus et marqués plus d'une douzaine d'entre eux.
Les premiers recensements, de 1987 à 1991, dénombraient une population stable d'environ 650 individus. Mais en 1994, leur nombre avait chuté de 30%. Les chercheurs ont également revu à la baisse l'estimation de la surface de l'habitat des coelacanthes. Dans une article publié dans le journal "Conservative Biology", Fricke et sa collègue Karen Hissmann ont estimé leur population à moins de 300 individus répartis sur 38 miles de côtes. Ils ont également lancé un cri d'alarme car la pêche intensive était, selon eux, responsable d'une diminution tellement rapide du nombre d'individus que l'espèce était en danger d'extinction à très court terme.
"Nous pensons qu'ils reste très peu de temps pour faire quelque chose pour les sauver", disait Hissmann. Si la dernière espèce de coelacanthe disparait, cela serait l'une des extinctions modernes les plus tragiques. "Nous avons ici un des vertébrés les plus important qui ait jamais évolué, et il est en voie d'extinction. Il pourrait disparaître dans les quinze ou vingt années à venir si aucune mesure effective de conservation n'est mise en place" dit le biologiste marin Mike Bruton, qui est, avec Fricke, l'un des experts les plus connus du coelacanthe.
Si le coelacanthe venait à disparaître, ils laisserait sans réponses de nombreuses questions, dont celle de la place du poisson dans l'évolution depuis la préhistoire. Est-ce le coelacanthe, avec ses nageoires primitives en forme de membres, ou le dipneuste ('lungfish'), ce poisson à poumons et branchies capable aussi bien de respirer de l'air que d'extraire l'oxygène de l'eau, qui serait le plus proche de la lignée qui a conduit aux amphibiens, et donc au reste des tétrapodes, jusqu'à nous ? La question reste ouverte.
Contrairement aux dipneustes qui ont peu changé depuis leurs origines, il y a 460 millions d'années, le coelacanthe n'est pas cette fenêtre sur le passé que ses découvreurs espéraient. Bien qu'il ressemble beaucoup à ses ancêtres fossiles, "le coelacanthe actuel est un animal hautement specialisé et extrêmement sophistiqué, qui ne fonctionne certainement pas de la même manière que ces ancêtres il y a 400 millions d'années", dit Burton. "Il n'est en aucun cas ancien ou primitif. Il a trouvé des solutions uniques aux problèmes auquels il était confronté."
La biologie du coelacanthe.
Le coelacanthe actuel, Latimeria Chalumnae, date du début de l'époque dévonienne, il y a 410 million d'années. Il mesure jusqu'à 1,5 mètre et pèse jusqu'à 100 kg. Les mâles adultes sont en général un peu plus petit que les femelles. La coloration est bleu foncé avec des marques distinctives blanches.
Le coelacanthe a emprunté de nombreux caractères aux poissons cartilagineux, comme les requins, ainsi qu'aux poissons osseux, et reste entre les deux. Comme le requin, le coelacanthe a une valve en spirale au niveau de l'intestin, pour augmenter la surface et ainsi mieux absorber la nourriture. Comme le requin, il a comme épine dorsale un long tube cartilagineux rempli de liquide, ce qui fournit un support ferme mais flexible pour les muscles. Par contre, il une tête osseuse, des dents et des écailles.
C'est le seul vertébré qui dispose d'un joint intracranien, ce qui lui permet, comme chez les grenouilles, de lever la machoire supérieure en même temps qu'il abaisse sa machoire inférieure et d'engloutir de grosses proies.
Encore plus surprenant, le coelacanthe est un ovovivipare : il donne naissance à des jeunes vivants, et a fait cela longtemps avant que les premiers mammifères n'apparaissent. Les femelles pondent des oeufs de la taille d'une orange, qui éclosent à l'intérieur. Les embryons consomment leur poche vitelline, ainsi que les oeufs non-éclos. Certains indices laissent à penser qu'ils obtiennent nourriture et oxygène de leur mère. Mais il reste encore beaucoup de mystères. " Nous ignorons combien de fois les coelacanthes se reproduisent, leur période de gestation, où les jeunes vivent, quel est leur taux de croissance, ..." dit Burton.
La plupart des activités des coelacanthes est hors de portée des humains : Durant la journée, ils séjournent dans des grottes ou des failles dans la lave. Ils chassent la nuit, descendant à des profondeurs de 600 mètres ou plus, hors de portée des sous-marins ou de la zone effective des transmetteurs fixés sur les marqueurs qu'on leur a posés.
Les coelacanthes agissent comme de grands rapaces glissant dans les airs : ils utilisent les courants océaniques et les tourbillons, retournant à leurs grottes après la chasse en opérant lentement de grands cercles. Contrairement à la croyance populaire, il n'utilisent pas leurs nageoires pour marcher sur le fond de l'océan.
Une nouvelle population indonésienne
En juin 1998, au cours de leur voyage de noce, deux jeunes mariés, Mark et Arnaz Mehta Erdmann et leurs amis visitaient un marché à poisson en Indonésie, lorsqu'ils remarquèrent un étrange poisson d'un peu plus d'un mètre de long. Mark, qui est chercheur en biologie marine à l'université Berkeley de Californie reconnut immédiatement un coelacanthe. Ayant laissé passer l'opportunité de l'acquérir, il retourna l'année suivante aux Sulawezi à la recherche d'un autre spécimen, qui aurait ainsi prouvé qu'il existe une autre population de coelacanthe que celle découverte soixante ans plus tôt aux Comores. En discutant avec les pêcheurs des Sulawezi et en leur montrant des photographies, il rencontrat deux hommes qui lui dirent qu'il capturaient parfois accidentellement un poisson qu'il appellaient 'Raja laut', le Roi de la mer.
Le 30 juillet 1998, un pêcheur captura accidentellement un autre spécimen vivant près de l'île Menadotua dans l'archipel des Célèbes en Indonésie et appella le scientifique. Malgré toutes les tentatives pour le maintenir en vie, ce second coelacanthe indonésien mourrut quelques heures plus tard, mais la preuve était faite qu'une seconde population de coelacanthes existait bel et bien en Indonésie, à 9000 km de la seule population connue jusque là.
National Geographic , 1998
La nouvelle bien entendu ravi les scientifiques, mais les a également fort surpris les a forcés à repenser l'histoire de l'évolution de cette espèce. Bien que les études ont montré que le coelacanthe peut parfois se déplacer de plusieurs dizaines de kilomètres pour aller d'une grotte à une autre, c'est un poisson semi-sédentaire. Il est hautement improbable que l'espèce des Comores ait pu parcourir presque 10000 km, pour aboutir sur les côtes indonésiennes ou vice-versa. cette observation, aisi qu'une analyse détaillée des caractéristiques physiques de l'animal et une étude poussée de son ADN ont révélé que le coelacanthe découvert en Indonésie, bien que très proche de Latimeria chalumnae, le coelacanthe des Comores, est bien en fait une espèce distincte, que l'on a appelé Latimeria menadoensis, du nom de l'île près de laquelle il fut découvert.
Les recherches, publiées dans les Comptes rendus de l'Académie des Sciences, indiquent que les deux espèces se sont distinguées il y a environ 1,5 million d'années, ce qui n'est pas très vieux, au vu de la longue histoire des coelacanthes qui débute au Dévonien, à une époque où les poissons étaient probablement les seuls vertébrés.
Le coelacanthe indonésien a été découvert dans une région où l'on a observé une activité volcanique récente. C'est un environnement assez semblable à celui où vit l'espèce comorienne. Il semble que comme son confère comorrien, le coelacanthe indonésien affectionne particulièrement les crevasses dans la lave, qui lui offrent des cachettes idéales pendant la journée.
La conservation des coelacanthes
Le lent déclin des crossoptérygiens, dont le coelacanthe est le seul survivant, ainsi que le fait que c'est un animal extrèmement spécialisé, adapté à un habitat très spécifique et limité en surface, suggère que les coelacanthes devaient de toute façon disparaître d'ici quelques millions d'années. Mais au rythme des captures accidentelles effectuées chaque année par les pêcheurs, nous sommes malheureusement en train de racourcir son espérance de survie à quelques dizaines d'années !
Mme si la communauté des pêcheurs comoriens prends au sérieux les avertissements des scientifiques concernant la situation extèmement précaire des coelacanthes, la seule façon de les sauver serait de ne plus pêcher dans les zones et aux profondeurs où ils vivent. Un coelacanthe vivant à une profondeur d'environ 200 mètres, subissant donc une pression d'environ 21 atmosphères, n'a aucune chance de survivre si on le remonte en surface, à une pression et température à laquelle il n'est pas habitué, et avec si peu d'oxygène dissous dans l'eau qu'il serait probablement asphyxié.
Plusieurs initiatives de conservation ont déjà été lancées. Bruton, avec Fricke et Hissman, ont proposé la construction de nouvelles structures flottantes destinées à attirer des poissons plus près de la surface, ce qui permettrait aux comoriens de pêcher dans des eaux sûres, près de la côte, avec leurs embarcations habituelles, et en même temps de réduire la probabilité de capturer des coelacanthes.
De plus, comme il est très difficile d'obtenir des crédits pour protéger un animal que l'on ne peut pas voir, Bruton et Fricke ont eu une autre idée pour sensibiliser le public à la conservation des ces fossiles vivants : ils veulent installer des caméras vidéo sous-marines à l'entrée du refuge d'un coelacanthe, et de diffuser en permanence et en temps réel les déplacement de ces animaux. Une fois de plus, le problème, c'est l'argent ... et le temps qui manque.